Orientation sexuelle

L’homosexualité
L’homosexualité n’est pas considérée comme une maladie mentale ou physique. Du moins, officiellement, puisque, en 1973, l’Association des psychiatres américains l’a retirée du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Par contre, l’homosexualité egodystone (qui n’est pas bien vécue avec le moi profond) y figure encore. On pourrait ici se poser cette question : pourquoi l’hétérosexualité egodystone n’y figure-t-elle pas ?

Je partage l’avis du sociologue Michel Dorais lorsqu’il souligne que la vision essentialiste et médicale de l’homosexualité a concentré toute son énergie sur cette « déviation de la norme hétérosexuelle « , en partant du principe qu’une origine biologique était sans doute à la base des préférences sexuelles. Cette vision a vu le jour au milieu du XIXe siècle pour perdurer pendant un siècle. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait tant marqué thérapeutes et chercheurs scientifiques. Les psychanalystes se sont donc retournés vers le scénario familial type qui était susceptible d’ouvrir la voie à cette  » inversion « . C’est ainsi qu’il sera question de père absent et de mère castratrice, en rapport avec le fils docile et efféminé. Certains chercheurs se sont posé maintes questions sur les parties du corps qui seraient susceptibles d’être à l’origine de ce dérèglement : gènes, cerveau, hormones, chromosomes, etc. Tout semble avoir été examiné à la loupe. Plus près de nous, certains sociologues se sont même prononcés à l’effet que certains gènes récessifs pourraient bien être les grands fautifs.

Comme l’affirme si bien Dorais,  » cet acharnement à vouloir trouver et corriger une différence constitutionnelle chez les personnes homosexuelles, outre qu’il a toujours mené à une impasse et qu’il nie le phénomène bisexuel, renforce souvent la stigmatisation sociale de l’homosexualité ». Je crois également qu’il serait grand temps que l’être humain se libère des conceptions dépassées qu’il entretient à l’endroit de l’homosexualité et de la bisexualité, et qu’il reconnaisse enfin qu’il existe mille et une façons de vivre son hétérosexualité, tout comme il existe mille et une façons de vivre son homosexualité et sa bisexualité. Nous avons peur de la différence, car elle nous pousse vers l’inconnu, nous appelle à sortir de nous-mêmes et à faire des efforts pour nous remettre en question. C’est pourtant là un défi que nous devrions accepter, à plus forte raison si nous nous disons en quête d’évolution personnelle. Après tout, être différent ne signifie pas que l’on soit supérieur ou inférieur à l’autre. Cela signifie tout simplement que nous sommes différents.

Mais je pourrais ajouter à cela que tout le monde est différent. J’observe énormément le genre de rapports amoureux que les gens entretiennent entre eux. Et lorsque je dis les  » gens « , je parle aussi bien ici des rapports amoureux qui existent entre les hommes et les femmes qu’entre les personnes du même sexe. Nous pourrions donc nous poser la question suivante : nous comprenons-nous mieux et nous entendons-nous mieux pour la simple raison que nous sommes du même sexe que l’autre ? Je ne crois pas, car les différences individuelles sont toujours présentes. Par exemple, lorsque nous nous retrouvons en tant que femme dans l’univers amoureux et sexuel d’une autre femme, nous nous trouvons en terrain plus connu, ce qui a pour effet d’être plus sécurisant. Mais je dis bien  » en terrain plus connu  » et non  » en terrain totalement connu « , car si cette femme est du même sexe que nous, il n’en demeure pas moins qu’elle est différente de nous. Et c’est cette différence que nous devons pouvoir accepter, avec laquelle il nous faut savoir composer.

Bien des gens ont de la difficulté à vire leur homosexualité et ils en souffrent. On peut les comprendre car affirmer sa différence peut être une source de rejet et d’abandon. En thérapie, ils peuvent donc se diriger vers un mieux-être.

Bisexualité
De plus en plus de femmes hétérosexuelles de quarante ans et plus choisissent de vivre, à long terme, une relation amoureuse et sexuelle avec une autre femme. Aussi, nous ne pouvons pas ignorer ces hommes qui, après dix ou vingt ans d’union hétérosexuelle, décident de quitter femme et enfants pour une relation homosexuelle. Nous ne pouvons pas non plus ignorer ces femmes qui en souffrent. Et que dire de ces jeunes hommes et de ces jeunes femmes de plus en plus nombreux qui se disent ambivalents par rapport à leur sexualité.

Est-il possible que nous, les femmes, puissions vivre une bisexualité plus  » équilibrée  » que ne le serait celle que peuvent vivre les hommes ? Afin de répondre à cette question, je crois que nous aurions intérêt à jeter un regard plus objectif sur la bisexualité.

Nous entretenons énormément de préjugés envers ceux et celles qui peuvent aimer soit un homme, soit une femme.Le bisexuel occupe souvent une place très inconfortable au sein de notre société. D’une part, les homosexuels le considèrent souvent comme un être qui refuse de vivre pleinement son homosexualité, un être qui trahit en quelque sorte les autres homosexuels. Lorsqu’ils semblent l’accepter, ils ne font en fait que le tolérer en croyant qu’ils réussiront à le convertir. D’autre part, les hétérosexuels voient souvent en lui un individu qui cache sa véritable orientation homosexuelle, quand ils ne le traitent pas d’ambivalent, de déséquilibré ou de vicieux.

Des chiffres révélateurs
Pourtant, je crois que le désir homosexuel est encore plus présent chez l’être humain qu’on ne le pense. À titre d’exemple, je pourrais mentionner le Rapport Hite qui, au début des années 80, révélait ces chiffres : 43 % des 7 000 hommes interrogés avaient eu, au cours de leur enfance ou de leur adolescence, des rapports sexuels avec un garçon. Aussi, près de 20 % des hommes qui se sont prêtés à cette enquête et qui se considèrent hétérosexuels ont avoué avoir déjà eu une relation sexuelle avec un homme, alors que 20 % disaient y avoir pensé sans toutefois être passés à l’acte. Le Rapport Hite n’avançait aucun chiffre quant au pourcentage des femmes qui avaient souhaité avoir une relation sexuelle avec une autre femme.

Un potentiel humain
Weinberg, William et Pryor ont fait une étude réalisée auprès de personnes bisexuelles. Selon eux, lorsque nous devenons bisexuel, nous passons par tout un processus qui nous demande de désapprendre les règles que la société nous a imposées à propos du rôle que nous devons jouer et assumer en tant qu’homme ou en tant que femme. Puisque la bisexualité permet de dépasser certaines interdictions, ces auteurs la voient comme une espèce d’échec du processus par lequel un individu apprend des rôles sociaux sexuels très stricts. En 1971, la psychiatre Charlotte Wolff a fait une enquête auprès de 75 hommes et 75 femmes vivant en Grande-Bretagne. Ils se considéraient bisexuels et ne présentaient pas de cas pathologiques. Selon cette psychiatre, si vous êtes bien disposé à intégrer les composantes  » mâles  » et  » femelles  » qui sont en vous et qu’il vous est possible de bien composer avec elles, vous pouvez être sexuellement attiré par les deux sexes.

Et si c’était leurs gènes…
On a longtemps cru, selon Wolff, que la bisexualité pouvait être innée. Lorsque la psychanalyse est apparue, cette idée est devenue désuète, et ce, même si maints chercheurs n’ont jamais renié le fait qu’une dimension biologique puisse en être à l’origine. Cependant, on a dû attendre que des recherches plus poussées se fassent dans le domaine de la génétique, de l’endocrinologie et des fonctions cérébrales, pour pouvoir mieux identifier et comprendre le caractère de cette dimension. La biologie, de par sa découverte des chromosomes, a permis à la génétique et à la sexologie d’évoluer énormément.

Une chose est certaine : que nous soyons un homme ou une femme, nos glandes sécrètent à la fois des oestrogènes (hormones femelles) et des androgènes (hormones mâles, dont la testostérone). Cette réalité prouve, sur le plan biologique, que la bisexualité est fondamentale chez chacun d’entre nous. L’influence des glandes endocriniennes peut jouer un rôle important sur ce plan, mais je ne suis pas d’accord avec certains chercheurs contemporains qui considèrent que le comportement psychosexuel dépend uniquement de nos hormones. Au même titre que Wolff, je crois que notre constitution endocrinienne peut nous permettre d’ignorer certaines normes établies et d’adopter une conduite qui nous est propre, mais je crois également ceci : seuls les individus qui ont de fortes personnalités sont capables d’assumer une manière de vivre contraire aux idées et messages reçus. Ceux qui ne présentent pas ce profil répriment leurs besoins et se soumettent aux conventions.

Je crois que dans une société telle que la nôtre, celui ou celle qui a aussi bien intégré ses composantes  » masculines  » que  » féminines  » aura plus de chances de réussir dans la vie. Je crois également que certains bisexuels  » heureux  » ont ceci en commun : ils ont réussi, de par leur tendance à l’individuation, à bien intégrer leurs composantes masculines et féminines, à se défaire des stéréotypes sociaux et à emprunter un comportement qui ressemble à leur nouvel état d’être et avec lequel ils sont en mesure de bien composer.

Finalement, je crois qu’il est indispensable de poser ici cette question : l’identité de genre et l’orientation de genre vivent-elles toujours en harmonie ? Même s’ils ne sont pas nombreux, certains individus ont conscience que leur identité de genre est masculine/féminine. Cela en fait-il pour autant des bisexuels affirmés ? Pas nécessairement et pour différentes raisons, que voici.

Une identité de genre façonnée
La société dans laquelle un individu évolue a établi des règles, des normes qu’on lui a appris à respecter. C’est là une pression dont il doit tenir compte tous les jours. En devenant le  » mouton noir », il risque d’être blâmé et mis à l’écart par son environnement, ce qui dans bien des cas peut avoir des répercussions négatives sur sa vie professionnelle. Le plus souvent, la famille joue un rôle très important dans la vie d’un individu. C’est à travers elle qu’il retrouve ses racines fondamentales. Si un individu déroge à certains principes de la majorité des membres qui constituent sa famille, il aura peur d’être rejeté par elle tout comme il pourra se sentir coupable de ne pas partager les mêmes valeurs. De plus, tout individu a besoin de sentir qu’il appartient au milieu dans lequel il vit. L’être humain a un instinct grégaire, ce qui le pousse à rechercher la compagnie de ses semblables afin de fuir la solitude et l’isolement qui lui font peur. Il craint donc de se montrer différent, car cela pourrait signifier pour lui rejet et abandon.

Or, bien des hommes et des femmes, conscients de leur identité de genre masculine/féminine, n’adoptent jamais de conduites bisexuelles évidentes. Ils compensent leur état d’être par l’utilisation de rêves et de fantasmes. Les femmes, surtout, se permettent des gestes plus tendres et plus affectueux avec quelques intimes du même sexe qu’elles.

Quelques représentations de la bisexualité
J’ai souvent entendu des spécialistes se prononcer sur la question de la bisexualité. Pour certains, les bisexuels souffrent d’ambivalence par rapport à leur orientation sexuelle, ce qui les conduit à adopter une attitude qui leur garantit d’obtenir le meilleur des deux mondes. Je ne partage pas l’avis de ceux qui disent que TOUS les bisexuels sont des instables, des ambivalents qui ne sont attirés que par ce qui va à l’encontre des normes établies. Je crois – et je l’ai même vérifié lors de certaines entrevues – que certain(e)s bisexuel(le)s vivent en accord avec leur double érotisme. Je vois en eux non pas d’éternels adolescents à l’enfance traumatisée mais des individus qui, possédant une véritable force de caractère, ont su faire fi de certaines règles et lois établies par la société dans laquelle ils vivent, ce qui demande beaucoup de maturité. Bien sûr, il se peut par exemple qu’une femme n’ait pas résolu certains conflits intérieurs, qu’il y ait chez elle un clivage entre la dimension sexuelle et la dimension affective de la sexualité. En pareil cas, elle recherchera la compagnie d’une femme pour avoir le sentiment d’être aimée et pour assouvir ses besoins de tendresse et d’affection, alors qu’elle se tournera vers un homme pour combler des besoins qui relèvent davantage de la dimension génitale de sa sexualité. Il se peut que ce soit le cas, mais je me garde bien d’étendre la possibilité d’un tel clivage à toutes les femmes qui se disent bisexuelles.

D’autre part, je demeure convaincue qu’un homme élevé dans un environnement tel que le nôtre peut difficilement se diriger vers une bisexualité qui soit aussi  » équilibrée  » que celle de la femme. En tant que sexologue clinicienne, il m’a été donné de constater que l’homme qui se dit bisexuel est souvent incapable d’assumer son homosexualité. En effet, à partir du moment où elle est conçue, la fille vit une fusion avec sa mère, une personne qui est son premier objet d’amour et qui est du même sexe qu’elle. Elle grandit et on jette un regard plutôt souple sur les attitudes et comportements qu’elle adopte vis-à-vis des autres femmes. En effet, si par exemple elle se promène bras dessus bras dessous avec une amie dans la rue, on ne la traitera pas de lesbienne comme on traiterait  » d’homos  » deux garçons qui oseraient adopter ce genre de comportement.

Contrairement à la fille, le garçon est porté et élevé par une personne qui n’est pas du même sexe que lui. Pour s’individualiser, il doit donc cesser de s’identifier à sa mère et se tourner vers la masculinité. Il est plus vulnérable par rapport à son identité de genre que ne l’est la fille. Il ressent le besoin de se prouver qu’il est capable de devenir un homme, ce qui l’amène à investir son pénis, symbole par excellence de ce qui le différencie le plus de sa mère et donc, de la femme. Il deviendra ainsi très castrant pour un homme de se faire féminiser. Et quoi de plus féminisant pour lui que de porter l’étiquette d’homosexuel ?

Dans un tel contexte, je crois qu’un homme doit avoir une personnalité très forte pour arriver à défier certaines règles établies par la société et pour arriver à adopter certains comportements qualifiés de marginaux, voire d’anormaux et qui, surtout, le ramèneraient à une féminité dont il a dû se départir pour mieux se masculiniser. Ce qui me porte à croire que souvent, certains hommes préféreront l’étiquette de bisexualité pour camoufler une homosexualité qu’ils ne sont pas prêts à assumer. Ici encore, je n’affirme pas que tous les hommes qui se disent bisexuels présentent ce profil. Je prétends uniquement qu’avec le genre d’éducation que les baby-boomers ont reçue, il y a plus de risques que ce soit le cas.

Bien des gens se demandent si le fait qu’ils ont eu une expérience sexuelle avec une personne du même sexe qu’eux en fait des bisexuels. Or, je le répète : nous sommes tous bisexuels, dans le sens où nous avons tous une double identité de genre (mâle/femelle) qui peut ou non nous conduire à éprouver une attirance suscitée tant par une personne du même sexe que nous que de sexe différent de nous. Cependant, être  » bisexuel  » – du moins, dans le sens où le commun des mortels l’entend – signifierait qu’un individu se situe à 3 sur l’échelle Kinsey, ce qui est extrêmement rare. Peu d’entre nous adoptent des comportements bisexuels manifestes qui les font se tourner à part égale vers les hommes et les femmes. Habituellement, les gens ont toujours une préférence pour l’un ou l’autre sexe. Je crois d’ailleurs que, très souvent, le mot  » bisexuel  » n’est pas utilisé à bon escient à ce niveau.

En thérapie, il est possible de mieux se situer par rapport à son orientation sexuelle et arriver ainsi à mieux vivre en accord avec soi-même.

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